alexandrineholognon

Une séance de lecture peu ordinaire

Avenue Kwamé Nkrumah, Il est 20h30.  A côté d’une station Total, Eric m’attendait un livre d’illustrations sous le bras. Nous avions rendez-vous avec un public assez particulier. Quelques jeunes patientaient assis sur un banc. Des adolescents plutôt. Certains en sueur, pieds nus, tenues négligées, d’autres proprets, en tenues correctes. Des salutations chaleureuses, des poignées de mains par-ci, des plaisanteries par-là. Les sourires échangés, on en oublie presque la chaleur et le ronronnement des moteurs provenant de la circulation. Nous sommes dans l’univers des « enfants vivants dans la rue ».

De la lecture pour alléger leur quotidien 

Ces jeunes, délaissés ou ayant quitté leurs familles qui quémandent ou font de petits travaux pour survivre et qui le soir venu, se retrouvent par groupe pour dormir dans la rue. Les mercredis, Eric, bénévole d’un mouvement qui lutte pour l’éradication de la misère, les retrouve pour une séance de lecture. De quoi leur donner un peu de sourire et attirer leur attention sur d’autres réalités.

Attirés par le livre d’illustrations, ils l’arrachent à Éric et le feuillettent. Après avoir satisfait leur curiosité, ils demandent à Éric d’expliquer les images qui défilent sous leurs yeux. Habitué, Éric prend la parole en Mooré et raconte l’histoire page par page sous le regard éberlué de son public. Sur leurs visages se lisaient de la curiosité, de la joie. Des sourires se dessinaient sur les lèvres desséchées ensuite les rires et enfin la déception. La fin de l’histoire n’a pas fait l’unanimité. S’engage alors une discussion, chacun donnait son avis sur les personnages du livre.

« Moi, disait Kader, un jeunot d’une dizaine d’années, si j’avais l’occasion de faire des vœux, je demanderais à voir Dieu et ensuite à être roi.  » 

La séance terminée, certains demandent une pièce d’argent pour manger mais il ne faut rien donner pour ne pas les encourager à ce style de vie. C’est la règle…

Confrontés à tous les dangers…

Direction un  autre endroit de la ville.  En route nous remorquons quelques-uns jusqu’à l’endroit où doit se dérouler la lecture. Quelques-uns dormaient déjà, en position fœtale à même la chaussée. La séance se passe mal.  Une bagarre a éclaté . Du sang suintait… Personne n’est intervenu pour les séparer. Il ne faut pas se mêler de leur bagarre, c’est la règle…

Dans un autre quartier général, certains sont couchés sur des cartons derrière des camions dans un lieu jonché d’ordures. Ils n’étaient pas disposés à suivre la lecture. Une dure journée, rien à manger et quelques-uns étaient défoncés à vue d’œil.

Direction Matata, l’un des maquis les plus populaires de la capitale Ouagalaise, un lieu réputé pour ses professionnels de sexes et pour sa chaude ambiance. Les enfants y étaient, occupés à ramasser les restes de repas laissés par des clients.  Là aussi la lecture était le moindre de leur soucis. L’un d’eux, Arouna, un adolescent, nous raconte que ses camarades sont occupés et que le lendemain lui il irait voir une course de chevaux. Il nous confie que sa passion c’est prendre soin des chevaux et il veut en faire un métier. Sa famille vit à Ouaga. A la question de savoir pourquoi il n’est pas à la maison, il répond par un sourire.

Comme Arouna, Kader et tous les autres, ils sont des milliers d’enfants confrontés à la dure réalité des rues de Ouagadougou, proies des prédateurs de tout genre. Drogue, violences, prostitutions, exploitation, trafic etc.

 


Rango, un phénomène social au Faso

Une ville desséchée, du soleil, de la couleur ocre,  détrompez-vous nous ne sommes pas au Burkina Faso mais dans  « Poussière », une ville fictive du Far West. Nous sommes dans le décor du film d’animation Rango. Vous connaissez ? Rango du nom du petit caméléon crée par Gore Verbinski parût en 2011.  Le personnage est célèbre au Burkina Faso avec une nouvelle langue et un nouveau vocabulaire. C’est désormais Rango ya yaaba!

L’aventure de Rango n’a plus de secret pour les Burkinabé. Les hommes intègres ont découvert le petit caméléon récemment et l’ont adopté.  Une découverte  grâce au génie d’un jeune étudiant burkinabé vivant à New York, Yves Florent Kabore alias Yvon Smart. Féru de nouvelles technologies, Yves a jugé bon d’initier le caméléon cowboy aux rouages de la langue Moore en doublant des séquences du film en Moore . Un Rango Moaga* quoi de mieux pour mettre en valeur la langue Mossi*!

« Au commencement c’était juste pour essayer un logiciel » confie Yves.

 

Rango, un phénomène social

Le nom du personnage animé est sur presque toutes les lèvres. Les séquences du film inondent les réseaux sociaux. Les phrases en Moore répétées par le petit caméléon sont devenues des formules passe-partout «Mam ya yaaba, yaa saanga ». Même les artistes se mettent dans la danse. Ainsi David le combattant et Agozo, des artistes locaux,  ont rendu hommage à Rango avec le morceau « Rango Ya saanga* »

La version Mooré de Rango est un cocktail linguistique où intervient l’argot du Mooré, quelques pincées du français, un soupçon de l’espagnol, coloré par quelques mots extraits de l’actualité du Burkina Faso tels que Koglweogo, Rsp… le tout sucré d’un ton drôle et déjanté.

  • Pourquoi le choix de Rango ? «  C’est le style du dessin animé qui m’a attiré. Poussiéreux ! C’est surtout l’envie de faire un peu rire les gens»

Objectif atteint ! Même les adultes sont séduits. La vidéo ne peut pas passer sans susciter l’hilarité chez ceux qui la regardent. Brillante idée d’attirer ses compatriotes vers l’univers des films d’animations avec cette version Moore.

Au-delà de l’aspect ludique de ces traductions, Yvon smart met en valeur sa langue maternelle et montre ainsi son attachement au Burkina Faso, la mère patrie. »

Je vous propose un aperçu. Vous allez vous régaler. Enfin, si vous comprenez Mooré.   https://youtu.be/vjNCCAbEkQ8

 

Mini glossaire pour ceux qui, comme moi, ne parlent pas Moore,

  • Moore : langue du Burkina Faso, parlée par les Mossi
  • Mossi : ethnie majoritaire du Burkina Faso,
  • Moaga : personne appartenant à l’ethnie Mossi
  • Ya saanga : traduction approximative « c’est un dégât ». Dans le contexte de Rango, l’expression veut dire « personne impressionnante, terrifiante…
  • Mam ya yaaba: qu’on peut traduire par « je suis un boss »

 

 

 


Les chars de Ouagadougou

 

Ouaga, il est midi. Le soleil règne en maître sur la capitale des hommes intègres. Sur l’avenue Bassawarga, l’embouteillage est à son paroxysme. En dehors de l’impressionnante couleur ocre qui habille cette ville, c’est le ballet du nombre incalculable de motos qui attire l’attention. Ouagadougou regorge de motos. Il y en a partout et pour tous. Petits, jeunes, femmes avec bébé au dos ou avec un plateau de marchandises posé en équilibre sur la tête, vieux et vieilles… Chacun a son engin à deux roues. Pas besoin de permis de conduire, il faut apprendre à le démarrer, savoir rester stable et se faufiler. C’est suffisant ! A Ouaga, tout le monde a son « char ». Les sociétés asiatiques de vente de moto ont senti l’affaire.

Vivre sans « char », une galère

L’expérience d’avec les motos quand on arrive nouvellement à Ouagadougou diffère d’une personne à une autre.  Moi, à mon arrivée dans le pays de Thom Sank, le Ché Africain, je me suis jurée de ne jamais m’aventurer sur cet engin que tout le monde conduit à tombeau ouvert à travers les artères de la capitale sans protection (pour le ouagalais, le casque, c’est gênant). J’ai très vite changé d’avis. Mes courses à vélo, non pour le plaisir ou pour des exercices mais parce que je n’avais pas le choix, les difficultés pour trouver un taxi et un bon (certains ne sont qu’un ensemble de vieilles pièces détachées qui menacent de céder à chaque mouvement. Pire, plusieurs sont alimentés par des bouteilles de gaz), le coût des trajets m’ont très vite dissuadée… « Ouaga sans char c’est galère » disait l’artiste.

Le code routier Ouagalais

Après quelques séances d’apprentissage qui se sont déroulées sans fractures non sans égratignures, je me suis achetée mon « char ». Une belle moto noire. J’en étais fière. Le plus dur restait à affronter la circulation, et à Ouagadougou la circulation ne pardonne pas.

« À Ouagadougou, on ne conduit pas, on s’évite ! » Cette phrase d’un collègue illustre assez bien la situation. Le ouagalais a son propre code routier et il faut le maîtriser pour éviter insultes, casses et de graves accidents, chose courante. Nul ne se soucie des clignotants, l’on ignore leur importance – j’exagère à peine. Pour virer à gauche ou à droite, il suffit de balancer le bras ou le pied dans la direction voulue ou tourner la tête pour vérifier si la voie est libre. Ces gestes sont largement suffisants pour alerter les autres conducteurs qu’on veut tourner. Les feux de signalisation ? Quelle invention !

Un engin multitâches

Les motos servent à conduire les hommes mais pas seulement. Efficaces pour slalomer entre les voitures et éviter les bouchons, les motos aident aussi à charger les bêtes vivantes ou mortes, encore entières ou dépecées qui serviront dans les nombreux points de grillades de la capitale. Les chars de Ouaga sont aussi des « lieux de discussions » par excellence. Ainsi on peut voir deux ou trois motos en circulation, leurs conducteurs dévissant gaiement tout en conduisant. Mieux qu’un tête à tête !  Autre fonctions, ces engins à deux roues sont très utiles pour draguer. Eh oui,  ce n’est pas pour rien qu’on refuse le port du casque. Il n’est pas rare de voir dans les rues de Ouagadougou de très jolies filles en mini-jupe et talon, cheveux au vent, bravant la poussière avec d’immenses lunettes noires. Chose impressionnante ! Pour ma part c’est déjà assez dur de manier vitesse et frein à pied avec mes ballerines mais le faire avec des chaussures à talon… Les filles de Ouagadougou ont d’incroyables talents ! Et les mini-jupes, une amie me montrait l’astuce pour conduire avec ces jupettes «  il faut soulever légèrement la jambe et monter par l’espace entre le siège et le guidon, s’asseoir et serrer les cuisses pour ne pas dévoiler son entrejambe  ». Moi, en bonne togolaise habituée aux motos-taxis de Lomé, je sors toujours en jean et je monte sur ma bécane en faisant un grand écart au-dessus du siège…

Revenons à la drague. Je disais qu’une fille sur moto, une main sur l’embrayage et l’autre triturant un téléphone, un si beau spectacle ne peut passer inaperçu, le « candidat » n’a d’autres choix que de suivre la belle avec sa moto et essayer d’attirer son attention. Malgré mon casque qui ne me quitte jamais quand je conduis, j’ai fait les frais de ce mode de séduction. Bref !

Les « chars » jouent aussi un grand rôle dans les mariages. Après les cérémonies habituelles, cousins et voisins de quartier des mariés animent les rues de la capitale avec leurs cortèges en klaxonnant et en faisant des figures avec leurs motos pour marquer la fin du célibat des élus du jour.

Enfin, quoi qu’on dise les chars de Ouagadougou font le charme et la particularité de cette ville de l’Afrique de l’Ouest Ouaga-doux-goût.

 

 


Au Burkina, on ne badine pas avec la sécurité

Ouagadougou un mercredi, il est 13h à la rédaction, l’heure de la pause pour ceux qui n’ont plus de tâches particulières. Entre collègues, on improvise une sortie déjeuner à la Maison du Peuple, un lieu historique dans le parcours politique du Burkina Faso. Il y avait le Festigrill, le festival des grillades. Une bonne occasion pour se remplir le ventre et deviser hors de l’ambiance quelque peu étouffante de la radio. A quatre, on s’engouffre dans la voiture du Directeur de la rédaction. J’avais un devoir de vidéo à réaliser pour ma formation en ligne et j’ai passé la matinée à filmer les gens et les choses. Je n’avais pas encore d’idées précises sur mon sujet.

Après avoir dégusté de bonnes brochettes arrosées de sucreries (oui nous sommes sages, pas d’alcool à l’heure du boulot), on reprend le chemin du retour. Entre temps je n’avais pas arrêté mes tournages, mes collègues en étaient quelque peu agacés mais ils n’osaient le dire par égard pour la « petite togolaise »

Au détour d’une autoroute, une manifestation attire mon attention. Une voie très fréquentée barricadée à cause d’un meeting d’un candidat en lice pour les élections consulaires… Coincés dans les embouteillages, les conducteurs en colère se criaient dessus. Un beau spectacle et un bon sujet pour mon devoir. Je décide de filmer la scène. Dans mon excitation, je ne me suis pas rendu compte que nous étions  face à l’édifice de l’Etat-major général des armées et c’est interdit de filmer les bâtiments de l’armée. Tout le monde le sait ça ! Le temps de réaliser mon erreur, j’aperçois un militaire me menacer du doigt et m’intimer l’ordre de sortir de la voiture.  Mes trois autres collègues et moi sommes débarqués du véhicule et conduits devant un responsable des lieux.  Mon téléphone  ainsi que nos pièces d’identités, réquisitionnés. Ils ont dû me prendre pour une apprentie terroriste, seule étrangère parmi mes collègues burkinabé, une coiffure à la Tina Tuner et de multiples vidéos sur des lieux publics dans la gallérie de mon téléphone.

Dans un contexte sécuritaire assez tendu, tout était suspect.

Après maintes explications, ils m’ont rendu le téléphone tout en prenant le soin de supprimer les vidéos enregistrées et de répertorier nos noms et nos numéros.

Ouf, Plus de peur que de mal.


La liberté ou le rapatriment

Vivre aux Etats-Unis oui mais à quel prix ? Certains aventuriers sont prêts à accepter toutes les conditions que leur impose leur pays d’accueil, même les plus dégradantes, pour ne pas avoir à retourner dans leur pays d’origine.

Aboubakar Guiro n’est pas de ceux-là…
Il a partagé avec moi son quotidien aux Etats-Unis dans un témoignage poignant dans le cadre de mon émission « Allo Diaspora » : ses rires et ses pleurs, ses réussites et ses échecs, ses frustrations…

Jeune Burkinabé, sans diplôme universitaire, confronté aux difficultés du marché de l’emploi, Aboubakar décide d’aller « se chercher » aux Etats-Unis. Il n’avait comme bagage qu’une petite expérience  en construction de bâtiments et il voulait faire carrière dans ce domaine.

Vivre son rêve américain…

L’Africain pouvant compter sur la solidarité de son prochain, Aboubakar avait glané quelques contacts de personnes qui pourraient l’héberger dans un premier temps  au pays de l’oncle Sam.

Le Jour  de son départ, il s’envola vers l’inconnu à la recherche de son idéal. Premier obstacle, il perd tous ses bagages avant d’arriver à destination. L’aventure commence mal.

A Wisconsin et ensuite à Houston, Aboubakar avait trouvé gîte et couvert chez des amis, le temps de trouver un travail.

La tâche n’a pas été facile, mais heureusement la chance lui a souri une première fois.

« Donc, je suis arrivé à Houston, et de temps en temps j’allais faire mes achats dans une boutique et cette boutique était gérée par un malien. Ce dernier m’a demandé un jour si j’avais un boulot, je lui ai dit que je n’en avais pas. Il me fait savoir que son patron a besoin d’un africain pour travailler parce que selon lui les africains travaillent bien. Je lui dis ok, je prends le boulot ».

Ce premier travail ne suffisait pas pour subvenir à ses besoins, Aboubakar accepte alors non pas deux mais trois autres jobs pour joindre les deux bouts. En plus de la boutique, il lavait des voitures et il avait un autre emploi dans un supermarché. Des journées bien remplies et un emploi du temps surchargé, sans repos. Aboubakar a vécu ainsi pendant plus de deux ans. « Trois ans d’affilés, du lundi au dimanche, de 10h du matin à minuit c’est ce que je faisais. Les weekends je travaillais jusqu’à 1h du matin. »

Stressé, Aboubakar tombe malade et démissionne…

Le deuxième obstacle a été linguistique. Etape importante à franchir si l’on veut s’intégrer dans la société américaine.

« Oh c’était beaucoup difficile. Ce qui m’a aidé à améliorer mon anglais c’est un dessin animé qui passait « Les Simpson ». C’est ce que je regardais ainsi que le journal parlé en Anglais. Cela m’a beaucoup aidé. Ecouter un américain comme ça qui te parle et comprendre ce qu’il te dit n’est pas chose aisée. A priori vous risquez de ne pas savoir que c’est de l’anglais qu’il vous parle parce qu’il n’a pas la même manière de prononcer les mots. Je me rappelle d’un Monsieur qui est rentré un soir dans la boutique où je travaillais.  J’ai eu l’impression qu’il cherchait quelque chose. Alors je lui demande : « Can I help you ? » et il me répond « Wata » et je réfléchis un moment avant de m’esclaffer « Ah Water ? » 

Toujours en quête de bien-être, Aboubakar rassemble ses petites économies durement gagnées et retourne sur les bancs d’études. Il suit des cours de designer en conception bâtiments. Deux ans plus tard, il décroche son diplôme.

« Le jour où j’ai eu mon diplôme, je me suis acheté un cigare, je l’ai allumé, et je suis allé à Each-Bee, j’ai acheté une bouteille de champagne non-alcoolisé. Puisque là-bas c’était difficile de réunir mes amis, une fois arrivé à la maison j’ai allumé mon cigare (bien que je ne fume pas d’habitude) et j’ai  fait sauter mon champagne, j’étais vraiment content. »

La vie commence à lui sourire mais son bonheur fut de courte durée…

Aboubakar trouve un travail bien rémunéré dans son domaine. Après quelques mois de travail, il se retrouve au chômage technique. Ne pouvant plus payer ses loyers,  il perd sa maison dans la foulée et décide de quitter Houston pour New York. Avec le peu d’économies qui lui reste et avec l’aide de ses amis, il prit le train en direction de l’Etat de New York.

Coup du hasard ou malchance, Aboubakar tombe sur la police d’immigration.

Son visa expiré, il était en situation illégale.

A la premiere gare du territoire français sur la ligne venant de Vintimille, celle de Menton Garavan, les policiers montent dans les rames et contrôlent aux facies, traquant les migrants clandestins pour les reconduire sur le territoire italien. © Frédéric Lafargue

« On était dans le train, et il y avait un contrôle, c’était la première fois que je voyais ça de ma vie.  Ils sont venus, ils ont demandé mes papiers. J’avais la carte consulaire que je leur ai remise. Ils me disent alors que ce n’est pas suffisant et réclament mon passeport. Je leur remets donc mon passeport et ils me disent qu’il a expiré et exigent que je les suive. »

Gardé à vue pendant trois mois, il a souhaité être rapatrié au Burkina mais ce n’était pas encore le moment.

« Ils m’ont gardé pendant trois mois, j’étais en détention. De 8h à 18h on était là, de plusieurs nationalités, j’étais le seul burkinabè. Il y avaient un ivoirien, des sénégalais, des mexicains, des brésiliens, des arabes du Yémen bref presque toutes les nationalités. »

Relaché au bout de trois mois, Aboubakar visite New York et retourne à Houston.

Malgré les difficultés, la vie reprend son cours. Aboubakar a de nouveau un emploi et s’installe dans une nouvelle maison avec sa propre voiture. La seule zone d’ombre dans ce paradis de lumières c’est qu’il doit se rendre régulièrement au service d’immigration pour s’enregistrer. Il subit en silence cette condition jusqu’au jour où on lui annonce qu’il doit porter un bracelet électronique.bracelet elec

« On m’apprend que je dois porter un bracelet électronique. Je leur demande pourquoi je devrais porter un bracelet. Ils ajoutent alors que chaque semaine je dois me rendre au service d’immigration. Je réponds « non » . Ils rétorquent que c’est exigé sinon ils m’enferment. Je dis ok enfermez moi. Je ne suis pas un criminel, je ne vends pas de drogue, je ne suis pas recherché, rien, simplement parce que je ne suis pas américain vous voulez me traiter de cette manière ?  Ils insistent pour que je le porte et ajoutent que si cela ne me convient pas de revenir ils vont me l’enlever.

 

Il accepte cette condition et subit cette humiliation pendant quelques jours.

 « chaque mercredi , je devais retourner au poste pour des contrôles, le mercredi suivant j’y suis allé et je leur ai dit que je voulais rentrer chez moi, je veux rentrer au Burkina. »

Entre liberté et rapatriement, Aboubakar a fait son choix. Il ne redoute pas de revenir tout recommencer au Burkina.

Son souhait fut réalisé. En Juin 2012, il retrouve le sol burkinabè.

Aujourd’hui il a refait sa vie et s’est construit une carrière professionnelle avec l’expérience qu’il a acquise aux Etats-Unis. Il apporte son soutien aux entreprises dans le domaine du bâtiment et de l’architecture et donne aussi des cours dans des écoles.

« Oh Alhamdulillah je suis très content. Je suis revenu chez moi et je représente une société américaine au Burkina. »

Aboubakar Guiro est aujourd’hui marié et père d’une petite fille et il n’hésite pas à partager son expérience aider d’autres aventureux.

 

 


Le tsunami de ma vie

Ce soir il s’est confié à moi. Il m’a parlé de sa vie, de « ses femmes », de son travail et de ses projets… rien de surprenant, il me raconte souvent sa vie. Je ne peux donc pas comprendre pourquoi je me sens si mal. Je l’aime toujours. C’est le tsunami de  ma vie. Je m’amuse à le dire sans me rendre compte qu’un tsunami ça fait toujours des dégâts. Et des dégâts, il en a fait dans ma vie. Il a tout ravagé sur son passage…

Tout commence un mois de Mars. Mes yeux innocents d’étudiante se sont attardés sur un jeune slameur lors d’une soirée. Amoureuse des lettres et de la bonne musique, mes oreilles se sont accrochées au texte qu’il  déclamait et mon être vibrait sur la douce et violente mélodie qui l’accompagnait. Un petit mot à une amie assise à côté de moi et j’ai eu son numéro. Je l’appelle quelques heures plus tard. Une voie calme, plutôt accueillant. Nous avons échangé comme deux individus normaux. Rien de spéciale, juste une prise de contact et un rendez-vous. Une rencontre pour parler de littérature, de sa passion pour le slam, des livres, des êtres, des maux…

Premier tête à tête, j’étais enchantée. Il a une étincelle qui s’allume dans ses yeux quand il parle de son art, éloquent, un peu gauche, et ce petit sourire en coin. Il a du charme et un côté rebelle qui transparaît à travers ses gestes et son vocabulaire. Je l’écoutais sans détacher mon regard de ses lèvres. Je buvais ses paroles ensorcelée par ses mots. J’imaginais la douceur de ses lèvres posées sur les miennes… Tout mon bon sens se perdait dans le flot de ses paroles.

Tout allait si vite. Le jour suivant notre rendez-vous il m’offrait un spectacle de slam en live à son domicile. Le pied ! La timide jeune fille en manque de sensations fortes que j’étais en était comblée. La pudeur, j’avais oublié le sens de ce mot. J’en avais appris deux autres : l’abandon et la créativité. Mon amour pour la littérature s’est accru. Mes nuits n’avaient que deux notes bien rythmées. J’embrassais la culture. Festivals, ateliers, danses, théâtres, Je n’en ratais aucun. D’ une si belle manière, il m’a transmis son amour de la chose culturelle.  Les quatre lettres de son prénom rythmaient mes journées. Sans m’en rendre compte, j’étais complètement obnubilée par cet homme. Mars, Avril début Mai, des moments de purs bonheurs et de délires intenses. Passion et culture s’entrecroisaient.

Premier bémol, il doit partir pour trois mois.  Un 13 Mai, un après midi de dimanche, il s’en est allé . J’étais anéanti. Sans étreintes, on s’est dit au revoir.

Le lendemain, je reçois un message. « Je suis bien arrivé à destination, je t’appelle plus tard ». Dix minutes au téléphone, l’espoir renaît . Je peux l’attendre, trois mois ce n’est pas grand-chose. Entre Skype et Facebook, notre relation se construisait tout doucement. Pas de mots doux, pas d‘étalage de sentiments, tout allait bien.

Un soir, ça cognait tellement fort dans mon cœur, Je dois le lui dire, je ne risque rien, je me lance : « Je crois que je ressens un truc pour toi ». Je n’aurais pas dû faire cette déclaration, je le regrette toujours. La réponse est venue foudroyante. La désillusion. «  Qu’est-ce que tu attends de moi ? »  Il m’avait prévenu… La douleur s’invite à ma petite fête, les larmes aussi. Des invités indésirables.  Le silence a pris place dans nos conversations. La distance commençait à se faire sentir. Lourde, pesante, impossible à supporter.

Un autre soir, début Août, un message sur mon téléphone : « je te manque toujours autant ? » j’ai failli hurler son nom mais on m’aurait prise pour folle. Je quitte précipitamment la fête où j’étais avec des amis. Je rentre en vitesse me changer et je débarque chez lui. Il était tout serein. Salut ! me dit-il sur un ton neutre. T’es horrible lui ai-je répondu dans un sourire en faisant un grand effort pour paraître neutre aussi. Il n’aime pas les effusions. Une nuit paisible, dans ses bras. Ce n’est plus le même entrain. « C’est la fatigue », me dit-il. J’accuse le coup. Rien ne vaut ce moment passé avec lui. Pas question de le gâcher dans des discutions futiles. Je ne trouve pas le sommeil, ça bouillonne en moi. La tête posée sur son torse, je n’ose bouger par peur de le réveiller. Je l’écoute ronfler paisiblement pendant des heures, je ne sais plus à quel moment je me suis endormie. C’est mon homme !

Oui! Savourer un instant de quiétude, oublier qu’il doit repartir encore et encore. Ne pas évoquer mes sentiments pour lui, accepter ce qu’il me donne, ne rien demander de plus, l’aimer en privée, subir son indifférence en public… Oui c’est sa façon de m’aimer. Oui je l’ai accepté et oui j’en voulais plus et NON c’était sa réponse et oui je m’en suis voulu et oui j’en ai souffert, je l’ai détesté… Meurtrie, je m’en suis voulu et l’amour s’en est allé, du moins c’est ce que je croyais mais non « l’amour laisse toujours des empreintes profondes ».

L’aimer fait partie de mon histoire, de mon être. Il fait partie de Moi.


Ma rencontre avec Kidal

Ces instants défilent dans ma tête sans cesse. Des choses mais aussi des lieux, des lieux et des noms… La poussière, très présente tout au long de l’histoire qui commence de façon banale au détour d’une rencontre fortuite sur une terre  de couleur ocre, s’invite dans tous les moments. S’accrochant à nos vêtements et à nos chaussures comme pour dire « ne me quitte pas ». Comme sorti de nulle part et se trouvant dans un environnement qui ne semble pas être le sien, une caméra. Oui, une caméra, avec des traits fins et belle allure, ni trop grande ni trop petite, je dirais la taille idéale, celle rêvée par le professionnel, dressée sur son trépied la plupart du temps ou rangée soigneusement dans sa sacoche comme un diamant non taillé, attendant la prochaine sortie pour capter et illuminer l’instant présent, pour mémoriser l’histoire en images qui commence en ce moment et ces lieux. Oui, j’ai dit lieux, lieux comme le Turkish, le Palais des Congrès, l’Hôtel de Ville, le siège de la Commission Electorale Nationale Indépendante,…

Cependant, le lieu favori reste virtuel. Là où, tout se chuchote, tout se dit, tout se fait et se défait, là où tout se vit. Soudain, le silence des face-à-face fait place à l’éloquence. De la fleur rose baccara cueillie au milieu des dunes de sable offerte, des fous rire jusqu’au baiser virtuel, l’imagination y est fructueuse et le rêve permis.

Comme par magie, quelque chose prenait vie, une relation naissante, professionnelle ou amoureuse, on s’en fiche ! Allons seulement ! Fameux slogan des Burkinabé après l’insurrection populaire de 2014, qui mit fin à 27 ans de règne d’une icône politique africaine qui ne laissait personne indifférente soit par la crainte ou par sa maitrise de soi qui a connu une fin peu enviable car ayant foncé dans la rue tout droit dans le mur de millions de personnes assoiffées de justice, d’équité et d’amour.

Après cette petite parenthèse et si nous revenons à cette rencontre entre la caméra, l’un des symboles de la toute puissante industrie de la communication, et son confrère le micro qui a su résister au temps contrairement au nouvel ivoirien que la rue a bouté hors du pays en chantant « Olé Olé ! ALLONS SEULEMENT » hum !  Cette phrase dont je me suis toujours moquée, parce que laissant place à des dérives et à trop de laisser aller, cette phrase est maintenant mon leitmotiv à chaque fois que le bon sens veut me ramener à la réalité de cette rencontre fortuite. Au fait, «  que penses-tu faire au juste ? », me dit une  petite voix impertinente et audacieuse. Je la fais taire illico presto en me disant tout haut « ALLONS SEULEMENT ! »

D’ailleurs, pourquoi me poser des questions ? Fils d’un même continent, nous avons en partage la pauvreté, l’illettrisme, la chaleur, la poussière ocre due à l’aridité du sol, les périodes troubles et les attaques terroristes. Crac ! La caméra a cessé de tourner, le microphone s’est tû. Quelque chose vient de se passer, simultanément dans nos petits pays sahéliens, car sahéliens nous sommes. Sahélien.com, chevaliers de l’information toujours prêts à dégainer caméra, micro, stylo et calepins. Cette fois-ci, tout semble fini. Des barbus enturbannés, qui sont pourtant nos frères appelés « fous de Dieu » ont frappé au nom de leur Dieu qui n’est pas notre Dieu car notre Dieu est AMOUR, TOLÉRANCE ET PAIX.

Bref, nous avons ces réalités en commun et la différence de la couleur de nos peaux renforce ce désir de nous découvrir, de voir le reflet du matin sur nos deux peaux collées dans la tiédeur d’une couverture. Et nous nous sommes découverts. Ce large sourire qui s’affiche sur mes lèvres quand j’y pense. Dans l’attente des résultats électoraux d’un scrutin « paisible et transparent », de l’avis des observateurs, dans l’attente de ces résultats plus tard contestés par l’opposition, et bien dans l’attente de ces résultats, la complicité renaît. Le plaisir de partager un repas dans une chambre d’hôtel sans confort. Le gâteau coupé  avec un bout du carton d’emballage, les rigolades, la bataille de polochon et le silence qui refait surface. Cette fois-ci, rempli de désir. La gêne de regarder l’autre si proche, si présent et… l’inattendu, le coussin qui surgit, qu’il plaque sur nos deux têtes comme pour créer un autre espace intime dans cette intimité puis vient ensuite le baiser. Timide, doux, mouillé, torride, passionnant et puis… silence !

Ma rencontre avec Kidal, le chasseur d’images.